L’adaptabilité (que je préfère au terme agilité) ce n’est pas seulement une organisation ou des « méthodes agiles » de réunion c’est d’abord et surtout un état d’esprit individuel et collectif. #innovation
J’ai relu cet été Seuls les paranoïaques survivent écrit en 1996 par Andrew Grove, PDG d’Intel, qui explique comment l’entreprise s’est adaptée face à une crise qui a failli emporter Intel dans les années ’85 : une concurrence nouvelle et soudain tellement massive de fabricants de mémoire japonais qu’elle réduisait à néant tous les efforts d’Intel pour les rattraper et que l’entreprise a dû abandonner son métier d’origine pour basculer vers les microprocesseurs (aujourd’hui c’est la concurrence des plateformes, l’intelligence artificielle et le nouveau rôle des data qui remettent en cause les business models). Il explique le passage à vide, la confusion des dirigeants et des équipes, la difficulté d’abandonner le métier qui avait fait le succès et qui était devenu l’ADN d’Intel, les tensions internes inévitables et l’impact psychologique d’une telle mue notamment sur les dirigeants, les choix à faire, la réaffectation des ressources et la discipline nécessaires pour s’en sortir et passer le cap.
Au-delà du fort leadership de ses dirigeants – qui étaient pris au début de la crise dans le même brouillard que leurs équipes et avaient encore plus de mal à se défaire de ce qui avait fait leur succès passé – ce qui a fait la différence a été la capacité des dirigeants à se remettre en question et la culture d’entreprise, mix d’ouverture au dialogue et de discipline dans l’exécution (a contrario, dans l’un des exemples qu’il cite, de la culture très descendante imposée par Steve Jobbs chez Next, qui l’a coupé des réactions de son environnement. Ou comment un génie visionnaire a eu du mal à abandonner sa création face à la nouvelle concurrence de l’interface Windows : se méfier de ses attachements !).
Il fait une grande part à la détection des signes avant-coureurs d’un changement de paradigme dans l’environnement concurrentiel. On dit maintenant facilement que tous les secteurs et tous les métiers vont être transformés par l’intelligence artificielle. Mais pour un dirigeant, la question est de savoir si son métier spécifique va l’être, quels changements effectifs cela peut produire sur son positionnement dans la chaîne de valeur et surtout, estimer quand il devra réallouer ses ressources pour continuer de bénéficier au maximum des revenus actuels. La réponse est, certes de ne pas se couper des profits actuels, mais d’effectuer le shift au plus vite, tant que l’entreprise bénéficie encore d’une « bulle protectrice » c’est-à-dire tant qu’elle a des ressources financières et en hommes qui lui permettent de prendre des risques d’investir (et de se tromper éventuellement).
Mais imposer un changement radical à son entreprise alors que tout va bien est très inconfortable pour le dirigeant. Rien n’est certain, il doit assumer le risque, le scepticisme et les oppositions plus ou moins ouvertes de tous ceux qui se sentent menacés par la nouvelle orientation.
Il donne le cas de John Sculley, PDG d’Apple à la fin des années 80’, qui voyait la nécessité d’ouvrir les standards d’Apple et qui a fait face à une telle résistance de toute la base de l’entreprise qu’il n’a pas pu faire admettre les changements, qui se sont avérés nécessaires par la suite. Il n’a pas réussi à triompher de « l’inertie du succès », résultat de 15 années de gloire d’une firme entièrement intégrée verticalement. Ce qui a fait le succès d’hier peut créer la perte de l’entreprise demain, si les signes de marché sont mal interprétés et si, aux différents niveaux de l’entreprise, on n’arrive pas à se défaire de certains éléments du passé. Dans ce cas précis, l’identification des équipes à ce qui constituait l’ADN d’Apple (systèmes propriétaires, on impose nos standards) et une certaine arrogance entretenue par le succès faussent le jugement.
C’est là que la culture d’entreprise et le fait d’avoir une équipe de direction soudée jouent un rôle essentiel pour parvenir à opérer le virage salutaire.
En gros, il faut être paranoïaque vis-à-vis de l’extérieur, être sur le qui-vive pour entretenir la rage de gagner, mais tout faire pour éliminer la peur qui inhibe la parole à l’intérieur. Avoir en tête que c’est toujours le PDG qui est au courant le dernier de ce qui se passe, faire en sorte que les « vrais problèmes » lui remontent.
Ouverture, curiosité, capacité à s’écouter de haut en bas et de bas en haut et à avoir des débats féconds, capacité également à exprimer ses désaccords dans la sérénité, autrement dit, créer les conditions d’un environnement de confiance et l’entretenir, et de ce fait créer une culture de l’innovation sont clés. Cela se prépare et se travaille.